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Espace super réaliste

"HENRIQUE, FAIT DES SPAGHETTS !

ON VA ABOLIR L'EMPLOI !"

Reproduction filmée des ambiances de travail de la galerie du cartable dans l'atelier de Fabrice Cotinat où chaque spectateur est un rôle.

Avec

Fabrice Cotinat

David Legrand

Henrique Martins-Duarte

Charlotte Le Cozannet

Hélène Boizeau

Robert Filliou

Vinius

Jean-luc Godard

Un moine-filmeur

Andy Warhol

Les bonnes de Jean Genet

Erwin Piscator

et

Les spectateurs du vernissage

AVANT PROPOS DU RÉALISATEUR D'ATELIER

Fabrice Cotinat.__ Paroles libres

DIRECTION DU RÉALISATEUR D'ATELIER AUX SPECTATEURS DU VERNISSAGE

Fabrice Cotinat.__ On vous demande de participer on a besoin de votre aide, on vous demande ni plus ni moins ce dont on a besoin c'est à dire pour ceux qui veulent il faut que tous les spectateurs du vernissage se regroupent dans un axe avec un gobelet à la main pour dire tous ensemble au deuxième et au troisième passage de la caméra et face à elle, à mon signal " Tous ce que vous voyez n'est pas ce que vous voyez !" en terminant cette action chorale par un mime où tous se penchent en arrière pour boire un coup.

Le réalisateur monte sur une dolly qui tourne en boucle (chariot-caméra motorisé qui l'entraîne sur un rail de travelling en forme de circuit fermé) autour de l'atelier pour réaliser un plan-séquence d'une durée correspondant à quatre tours.

Sur son trajet des actions humaines se développent, l'interrompt, des dialogues sont dit, des figurations ont lieu.

PREMIER TOUR D'ATELIER

Fabrice Cotinat .__ Henrique, fais des spaghetts ! On va abolir l'emploi !

Henrique Martins-Duarte.__ Vous êtes sûr... Vous préférez pas un poulet ?

Fabrice Cotinat .__ Non, non des spaghetts, c'est mieux pour Wharol.

David Legrand .__ Tu parles de quel emploi ?

Fabrice Cotinat .__ Silence ! ça tourne, vous êtes prêt ? Action !

Vinius.__ L'estime de mes amis ne m'est pas interdite :

je lui vois des attraits, je lui vois du mérite ;

Par là nos ennemis la tiendront redoutable ;

et notre perte par là devient inévitable.

Fabrice descend de sa Dolly allume une caméra de plateau de télévision et pose une question à Jean-luc Godard.

Charlotte.__ Ah monsieur Godard, c'est vraiment très généreux d'être venu. Vous qui n'êtes ni philosophe, ni sociologue, mais simplement quelqu'un qui travaille qui réfléchit et qui prend le temps pour ça. Pouvez vous là en directe répondre à deux ou trois questions qu'on m'a posée pour préparer l'exposition et dont je n'ai pas eu le temps de répondre ?

Jean-luc Godard.__ Oui, oui j'aimerai bien, je pense facilement à haute voix et j'aime bien ça, c'est l'occasion pour moi de faire du cinéma vraiment indépendant. C'est à dire à une époque où tout le monde veut s'exprimer sans perdre de spectateur, ben j'dis non au contraire il faut s'exprimer en en perdant et en en gagnant d'autres.

Charlotte .__ Quelle est la dernière fois que vous avez travaillé ?

Jean-luc Godard.__ Ben c'est maintenant là, devant vous, comme un des attraits de votre film je crois consistera à montrer des gens en train de faire une oeuvre commune, un groupe d'art plastique qui accomplissent réellement un travail devant une caméra. C'est rarement le cas dans une exposition.

DEUXIÈME TOUR D'ATELIER

Le réalisateur remonte sur sa Dolly et fait un signe au spectateur du vernissage pour lancer l'action chorale.

Les spectateurs du vernissage.__ Tout ce que vous voyez n'est pas ce que vous voyez !

Jean-luc Godard.__ Pourtant ce qui se passe sur la figure d'hommes et de femmes qui ne font rien d'autre qu'accomplir un travail, c'est sûrement quelque chose qui a à voir avec cette expo.

Le réalisateur pose la deuxième question embarqué sur sa Dolly.

Charlotte .__ Je vous cite la deuxième questions : Dans ce jamais au "travail", toujours au "travail" quelle place accordez-vous à l'effort? la peine? le labeur? physique ou intellectuel, ce qui pousse dans l'acception traditionnelle du travail à dépasser ses limites, transformer l'essai des idées ou des rêves ?

Jean-luc Godard.__ Je crois qu'on ai mal embarqué par cette question... D'abord ça a un coté religieux, qui je crois, me déplaît beaucoup. On est déjà dans toute une grammaire, toute une idéologie qui est religieux ou étatique.

Vinius.__ Je vois de plus, seigneur, que je n'obtiendrai rien,

tant que votre oeil blessé rencontrera le mien,

que le temps se va perdre en répliques frivoles ;

et pour les éviter, j'achève en trois paroles :

si vous manquez le trône, il faut périr tous trois.

Jean-luc Godard.__ L'homme est en train d'échapper à la vieille malédiction biblique du travail, aujourd'hui sa chance historique est que l'oisiveté n'est plus l'apanage de la bourgeoisie, mais des chômeurs, des rsaïstes, des sans emplois qui ayant goûter à la préciosité du temps libre ne veulent pas retourner travailler ou juste dépendre d'un travail qui ne mène nulle part.

...

Vous savez y a un article de Walter Benjamin qui était un critique vivant qui dit à propos du livre : les employés de Siegfried Kracauer qui était un autre critique vivant.

"...L'adaptation à ce que l'ordre actuel comporte d'indigne pour la condition humaine est bien plus poussées chez les employés que chez les ouvriers..."

Bon voilà, aujourd'hui à une époque conditionnée par l'emploi où on est peu à ne pas vouloir se résoudre à être employé et où l'on ne peut même pas concevoir qu'une personne qui n'a pas d'emploi n'est pas un sans emploi mais un sage ou un grand penseur on peut comprendre à quel point l'adaptation à l'ordre est de plus en plus poussée .

Alors pourquoi travailler ?

Moi, je crois à l'homme dans la mesure où il fait des oeuvres. Les hommes doivent être respecté dans la mesure où ils font des oeuvres, que ce soit un cendrier, une machine à zapper, une bagnole, un film ou une peinture. De ce point de vue travailler pour moi c'est faire une oeuvre celui qui au travail ne fait pas une oeuvre est un employé. Bon voilà par exemple une réponse :

Je sais qu'il y a aussi la question de l'argent et là je dois bien reconnaître que je ne ferais pas une réponse d'économiste, je ne suis même pas un économiste, on s'en est peut-être déjà aperçu.

Robert Filliou apparait sur la Dolly à la place de Fabrice Cotinat avec écrit sur son t-schirt devant : High tech Low tech Bad tech et à l'arrière : Je suis Robert Filliou un artiste précaire de 1962 à 1987 (date à vérifier, en chantier)

Robert Filliou.__ I believe the moment has come to abolish MONEY and the evoluate toward POETICAL ECONOMY...

Je crois que nous sommes arrivés au moment où il faudrait abolir l’argent, vers une économie poétique !

TROISIÈME TOUR D'ATELIER

Les spectateurs du vernissage.__ Tout ce que vous voyez n'est pas ce que vous voyez !

Jean-luc Godard se grime en moine-filmeur et joue du piano sur un petit synthétiseur en chantant :

Le moine-filmeur.__ Etre précaire. Être précaire. Être précaire...

C’est faire du télétravail la journée et répéter le soir un spectacle d’importance.

C’est avoir trente-trois ans, être post-doctorant et travailler cinquante heures par semaine « au noir » pour la Ligue contre le Cancer.

C’est être journaliste pigiste sans allocations chômage, et travailler pour la presse people ou féminine, ou pour des hebdomadaires télé.

C'est être chômeur et jouer son propre rôle dans un documentaire pas payé.

Être précaire. Être précaire. Être précaire...

C’est être candidat ouvrier chez Toyota à Valenciennes, et passer un casting de motivation.

C’est être sans papiers, embauché « au noir » chez Bouygues (patron de TF1), ou nettoyer bénévolement les plages polluées par l’Erika.

C’est le cadreur du cinéma porno en attente d’un vrai projet.

Être précaire. Être précaire. Être précaire...

C’est être guichetière à la SNCF sept heures par jour avec une coupure de trois heures au milieu (on appelle cela annualisation du temps de travail).

C’est être étudiant chez Mac Do.

C’est être acteur payé six cents euros par mois dans et pour le festival in d’Avignon.

Être précaire. Être précaire. Être précaire...

C’est être facteur (porteur de nouvelles) sous contrat à Bellac en Haute-Vienne.

C’est être chômeur saisonnier et faire un stage pour apprendre à rédiger un CV.

C’est être cinéaste sans avance sur recettes, malgré l’évidence du projet et de ce qui se construit.

Être précaire. Être précaire. Être précaire...

C’est être ouvrier palestinien ou chinois et travailler à construire le mur de la séparation en Israël.

C’est être en CDD (contrat à durée déterminée) au Carlton ou dans le festival de Cannes.

Être précaire, c’est être hors compétition et victime de la concurrence (gestapo de l’esprit).

C’est s’appeler Zinelli et construire une œuvre pas à pas à l’ombre de l’Italie dans un hôpital psychiatrique.

Le moine-filmeur continue à jouer un air au piano pendant que

Robert Filliou assis sur la Dolly film Henrique en train de répéter son rôle de Vinius et arrive à la porte du local des bonnes. Les bonnes (Claire et Solange) ouvrent la porte.

Vinius.__ Je vois de plus, seigneur, que je n'obtiendrai rien,

tant que votre oeil blessé rencontrera le mien,

que le temps se va perdre en répliques frivoles ;

et pour les éviter, j'achève en trois paroles :

si vous manquez le trône, il faut périr tous trois.

Robert Filliou.__ Tout de même.

Solange, étonnée.__ Ah ! Madame est là ! J'ai couru loin.

Personne ne voulait venir. À une heure pareil.

Robert Filliou.__ La perruque et les lunettes d'Andy Warhol ?

Solange.__ Oui, Madame. En bas.

Robert Filliou.__ Dépêchons-nous. Alors c'est entendu vous aidez Henrique à mettre la table. Et demain, grasse matinée, Claire vient ouvrir le rideau devant moi.

Il sort. Solange et Claire restent seules. Les deux soeurs se filment entre elles.

Solange, ironique.__ Tu as vraiment très bien travaillé. Tu pouvais te moquer de moi.

Claire.__ Laisse, je me suis donné tant de mal pour retenir la phrase. Elle est sortie malgré moi.!

Andy Warhol apparait sur la Dolly à la place de Robert Filliou.

Andy Warhol.__ Je voudrais être un spaghetti !

QUATRIÈME TOUR D'ATELIER

David Legrand.__ Warhol, a été l'un des rares artistes à avoir introduit le concept d'économie dans l'art...

Andy Warhol.__ Intérieurement aussi.

Henrique Martins-Duarte.__ David c'est prêt !

David Legrand.__ Oui, oui j'arrive tout de suite. Je mets juste en route le magnéto pour faire écouter deux archives sonores sur les conditions sociales du style, l'un de l'artiste Français Fabrice Cotinat qui date d'à peine un mois et l'autre du metteur en scène de théâtre politique allemand Erwin Piscator dans les années 20.

Voilà ... c'est bon, je viens.

Le moine-filmeur met en route le magnéto à bande et rejoint avec sa caméra les autres à la table pour filmer le repas retransmis pendant la diffusion des deux documents sonores.

Apparait l'une des bonnes qui met très soigneusement sur une platine un vinyl de Bach (enregistrement de l'art de la Fugue dirigé par Henrich Scherchen) il servira de musique d'accompagnement.

DOCUMENT 1

La Médiatrice Culturelle.__ La dernière fois que vous avez travaillé?

Fabrice Cotinat .__ Je peux à la fois répondre très rapidement à cette question, de la même manière qu'elle a pu être très rapidement formulée et pensée, comme il serait possible de développer à l'infini la raison qu'elle invoque.

Alors je dirais : "Cela m'arrive, pour bouffer", si l'on aborde le mode de l'emploi, dans le sens de l'employé. Parce que surtout c'est ça, le travail : ça doit rapporter de l'argent. Mais dans ce cas, c'est un emploi. L'employé est rémunéré pour sa tâche, le travailleur ne l'est pas toujours. Moi, je travaille mais je suis sans emploi.

Selon mon principe, je dirais que je travaille tous les jours. Je ne me lève pas en me disant que je vais travailler ou bien que je vais au travail, mais je me lève parce que le jour m'intéresse plus que la nuit, que dans la journée je concrétise le travail d'une activité cérébrale exercée durant la nuit. Ce travail-là, j'en vis.

Pour comprendre aujourd'hui ce que je fais, je pense sans arrêt à mon enfance, époque à laquelle on demande trop souvent : "Tu veux faire quoi plus tard ?...". Je ne répondais pas, je n'ai jamais eu d'idées sur le sujet, c'est ce qui a déconcerté le monde autour de moi pendant longtemps. Et encore aujourd'hui je reste inclassable pour ceux qui ont un emploi et qui essaient de comprendre ce que je fais dans la vie, de ma vie, et pourquoi, ma conception du travail est un fiasco.

A Châteauroux, le Café des Halles reste un des rares bars ouverts le soir. On peut y voir habituellement une troupe de papys philosopher en s'enquillant une bouteille de blanc payée en commun. Des retraités qui discutent du politique et du social, au présent. À d'autres tables, des nymphettes, étudiantes, les entourent, plus sérieuses niveau boissons... Mais pour eux comme pour elles ces paroles échangées ne sont que l'expression d'opinions.

Comme l'opinion ne sera toujours que trop personnelle, j'évite de l'emprunter, mais quelle plaisir de les écouter ! Un contraste saisissant s'établit entre ceux qui quittent le monde du travail et celles qui se le figurent sans jamais douter.

Hier, je suis allé à la DRAC de ma région afin de discuter, avec notre "nouveau" conseiller aux arts plastiques, d'une demande de subvention pour l'association Châteauroux Underground créée il y a un an. Il s'agissait de défendre et rendre d'intérêt public un projet de travail mené, à nos frais, depuis dix ans avec d'autres plasticiens, vidéastes et cinéastes français et étrangers. Figurez-vous que le dossier qui traîne sur son bureau depuis le 30 décembre au milieu d'autres, il ne l'avait pas lu ! Il a donc fallu que je reprenne tout mon parcours depuis le début pour lui prouver mon existence à l'intérieur d'un milieu que je fréquente depuis vingt ans, avec l'obligation de lui fournir des noms afin de prouver ma légitimité et de totaliser les points qui faisaient en direct progresser les courbes d'indices de ses schémas mentaux. Dans les années 80, un membre de la STASI chargé de la sécurité culturelle de son pays ne s'y serait pas pris autrement ! Cela c'est passé le lundi 24 mars 2009 dans un pays en crise... culturelle.

Il y a de fortes chances pour que nous continuons longtemps encore à fouiller le fond de nos poches pour financer nos projets, réaliser et diffuser librement notre travail...

DOCUMENT 2

Erwin Piscator.__ Doit-on faire de l'art ? Non, faisons consciemment des produits inachevés. Nous n'avons pas le temps de construire en nous souciant de la forme. Tant de pensées nouvelles se pressent vers la lumière. Le temps est trop précieux pour nous permettre d'attendre des raffinements subtiles. Il faut saisir les moyens de nous exprimer là où nous les trouvons. Rouspétez si cela vous plaît et ainsi nous créons malgré vous ce qui est le plus nécessaire la réalisation provisoire. Jamais la perfection !

Dernière action et dernier plan du film

Le moine-filmeur fait un gros plan sur la couverture du livre : La Fin du travail.

David Legrand pour la galerie du cartable 2009

L'ATELIER DU FIGURANT
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